Aux pages 972 et 973 du
Bulletin communal de la Ville de Bruxelles pour l'année 1919,
on peut lire ce qui suit à propos des monuments éphémères
érigés à Bruxelles à l'occasion du retour d'Albert Ier
et de la reine Elisabeth:
FÊTES PUBLIQUES
Après quatre longues et douloureuses années d'exil notre
illustre souverain, S. M. Albert Ier,
le "Roi-Soldat", est rentré le 22 novembre 1918 dans la
capitale à la tête de notre glorieuse armée et des vaillants
détachements américain, français et britannique qui lui
faisaient escorte. Cette fois, ce fut le public lui-même qui
apporta un appoint précieux à la réussite de la fête. Le
long de l'itinéraire du cortège triomphal, la rue de
Flandre, les boulevards du Centre, le boulevard Botanique et
la rue Royale, une foule immense venue en cohortes serrées,
dès le matin, exhalait son enthousiasme délirant, sa joie et
son bonheur ! Cette clameur incessante et formidable était
l'expression spontanée d'un peuple qui retrouve enfin la
liberté après une dure et brutale oppression ! La nature
elle-même ajoutait à la fête : dans un ciel éthéré,
qu'animait le vol incessant d'innombrables avions, un soleil
d'apothéose dominait ce spectacle inoubliable. Le soir du
même jour, Sa Majesté fut reçue à l'Hôtel de Ville, de façon
brillante.
La Ville avait reçu une décoration fort réussie, consistant
surtout en mâts portant les drapeaux national et alliés ; la
Bourse et la Grand-Place étaient ornées de façon heureuse.
L'Hôtel de Ville, garni de quatre rangées d'oriflammes aux
couleurs des nations alliées, depuis le haut de la tour
jusqu'aux angles de l'édifice, était particulièrement
remarquable.
Un certain nombre de monuments provisoires en staff avaient
été élevés en certains points de la Ville :
- Grand'Place : "La
Brabançonne", par SAMUEL.
- Mont-des-Arts : "Allégorie
de la Paix". Hommage aux États-Unis, par GRANDMOULIN .
- Au Parc : "A
nos Héros", par Ph. WOLFERS (don de l'auteur).
- Place Surlet-de-Chokier : "La
Vague". La Belgique repoussant l'invasion des Barbares,
par DE POUILLY .
- Place des Palais : "À
notre grand Roi et à notre vaillante armée", par LAGAE .
- Place Saint-Jean : "À
nos Héros morts pour la Patrie", par MASCRÉ.
- Rue du Parchemin : "À
nos blessés", par VAN HAMME .
- Emplacement de la Grande-Boucherie : "Monument
à Miss Cavell". Hommage à l'Angleterre, par MARIN .
- Vieux-Marché-aux-Grains : "Hommage à l'Italie", par
VANDEVOORDE [Aucune photo de ce monument disponible].
- Comme hommage à la France, la statue du général BELLIARD
avait reçu une décoration spéciale, par DELESCLUZE [Aucune
photo de ce monument pavoisé disponible].
Mues par un touchant sentiment de piété, des personnes
déposèrent des fleurs au pied de différents de ces
monuments.
Selon le site
visit.brussels,
Des monuments éphémères évoqués ci-dessus, seule la
Brabançonne de la place Surlet de Chokier s'est vu
pérennisée en étant coulée dans le bronze.
Trois de ces monuments apparaissent dans le
reportage sur le retour du roi Albert I et de la reine
Elisabeth à Bruxelles le 22 novembre 1918 disponible sur
le site de la Bibliothèque royale, à savoir "l'Allégorie de
la Paix", "La Brabançonne" et "La Vague" (après environ 3 minutes)
D'autres sources font allusion à ces monuments éphémères,
avec parfois un nombre et une localisation différents.
Ainsi le journal "Le Soir" du 18 novembre 1918 écrit-il:
1914-1918 : À Bruxelles, pour le retour de nos Souverains.
Un demi-million de crédit voté.
Dans quelques jours le Roi et la Reine des Belges seront à
Bruxelles. Quand ils rentreront, ils trouveront une foule
toute en délire, libre d'exprimer ses sentiments
patriotiques. Ils rentreront dans une ville en fête
entièrement pavoisée. La ville de Bruxelles a pris, sur la
proposition de l'échevin de l'État civil, M. STEENS faisant
alors fonctions de bourgmestre, des mesures pour la
décoration de la capitale.
Le conseil a été large, il a voté dans ce but un crédit de
500.000 francs.
Des mâts mesurant quinze mètres de haut - il y en a
quatre-vingts de commandés - seront élevés sur la
Grand-Place, la Place Poelaert, la Place des Palais, la
Place de Brouckère. Ils porteront nos couleurs nationales et
celles de nos alliés. Des guirlandes décoratives les
relieront. La Grand-Place recevra sa décoration des grands
jours de fête. Des drapeaux seront placés par la Ville aux
fenêtres des maisons qui la bordent. A l'Hôtel de Ville, on
arborera le grand pavois. Il est constitué par deux lés aux
couleurs nationales qui descendront du second étage.
On a commandé également à nos sculpteurs des groupes
monumentaux en stuc, car les artistes ont eu à peine quinze
jours pour exécuter leur projet.
- Il y aura notamment un groupe de M. SAMUEL, haut de sept à
huit mètres et qui symbolisera la Brabançonne. Il sera érigé
sur la Grand-Place.
- À la Place Poelaert sera placé un groupe de M. GRANDMOULIN,
symbolisant la Paix.
- Sur la petite pelouse du Parc, face au Palais du Roi, nous
avons une œuvre de M. LAGAE, un lion gigantesque tenant
écrasé sous ses pattes un aigle symbolisant la barbarie.
- M. WOLFERS a fait don à la ville de Bruxelles d'un morceau
sculptural représentant une femme jetant des couronnes à nos
héros. Cette œuvre sera placée sur la pelouse du Parc dans
l'axe de la Montagne-du-Parc.
- Du marquis de POULLY, nous verrons une œuvre qui
représente la logique s'arc-boutant contre une vague qui
tente de l'engloutir. Elle se trouvera sur le terre-plein de
la Place Surlet de Chockier.
- Enfin, le sculpteur MARIN a conçu un groupe qui
personnifiera le martyre d'Edith CAVELL, il occupera le fond
de la place dégagée par la démolition de l'ancienne
boucherie.
La source [318] donne le récit suivant:
LES MONUMENTS ÉPHÈMERES DU 22 NOVEMBRE 1918
La fin de la guerre pour les Belges est marquée par la
Joyeuse Entrée du roi à la tête de ses troupes, le 22
novembre 1918, à Bruxelles. Pour accueillir son Roi-Soldat,
la capitale du royaume s’est mise en fête. Dès le 18
novembre, la Ville de Bruxelles vote un crédit
impressionnant de 500.000 francs. Quatre-vingts mâts de
quinze mètres de haut arborent les couleurs belges et
alliées. Ils sont dressés sur la Grand-Place, la Place
Poelaert, la Place des Palais et la place de Brouckère.
En outre, huit monuments en stuc ont été construits à la
hâte et placés sur les grandes places publiques de Bruxelles
pour exprimer le patriotisme belge et la reconnaissance du
pays envers les Alliés. Un seul de ces monuments sera coulé
dans le bronze, en 1930, à l’occasion du centenaire de la
Belgique : celui de Charles SAMUEL représentant la
Brabançonne sur la Grand-Place et finalement installé place
Surlet de Chokier. Les sept autres monuments avaient
pourtant frappé la foule par leur caractère majestueux et
hautement patriotique. Le monument de Léandre GRANDMOULIN
représentant l’ange de la paix était dédié aux Etats-Unis,
tandis que celui de Jacques MARIN consacré à l’infirmière
Edith CAVELLavell était un hommage à la Grande-Bretagne. Le
monument sculpté par le marquis DE POULLY représentait la
petite Belgique repoussant une gigantesque vague allemande.
Celui de Jules LAGAE était dédié au roi Albert, couronné de
lauriers et vêtu à l’antique. Le monument de Louis MASCRÉ,
dédié aux soldats morts pour la Patrie, exprimait avec force
la douleur et le deuil. Tandis que le monument de Philippe
WOLFERS, dédié à nos héros, représentait la patrie
reconnaissante sous la forme de deux femmes nues, la Flandre
et la Wallonie, unies dans un même geste d’offrande et de
reconnaissance. Enfin, le monument de Joseph François VAN
HAMME était dédié à nos blessés.
Notons que ces monuments provisoires glorifient
essentiellement les héros militaires et non le martyre ou
l’héroïsme des civils, sans doute parce qu’ils ont été créés
par la population occupée pour accueillir le retour du roi
et de l’armée. En effet, le martyre de civils ne tardera pas
à être éternisé lui aussi à travers des funérailles
posthumes grandioses et des monuments plus ou moins
imposants, mais pérennes.
On trouvera ci-dessous une photo de chacun de ces monuments
éphémères (sauf le monument italien et le monument Belliard).
Pour d'autres photos, on suivra les liens proposés
ci-dessus.
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